ÉCRITURE
"entière"
préambule
en trois temps
Extraits
Source
Une partie de moi est morte il y a plus de trente ans. L’autre a persisté. Elle s’est dressée face à la maladie, a combattu l’inimaginable, fait le deuil du passé et apprivoisé le présent dans toute son entièreté.
(...)
Cet ouvrage est viscéral, vital. Une volonté ; parce que l’écriture était en moi depuis l’enfance et qu’elle fut ces deux dernières années ma survie. Je me suis abandonnée à la force des mots pour traduire le miroir exact et violent d’une vérité intérieure inaudible logée en terrain de guerre. Guerre invisible entre la cruauté des souvenirs, l’ombre d’un corps abîmé et la force infinie de l’instinct de vie, de survie.
Je relate la douleur crue - parce que les maux ne connaissent pas la nuance. Je transcris le combat qui érode le corps et l’âme ; j’écris l’amour et l’audace qui gagnent et sauvent.
Ce souffle issu de mes tripes a noirci ces pages et imposé l’intensité de la photographie de la peau, ses reliefs, ses contrastes. A travers lui se révèlent la métamorphose possible de l’être et la quête essentielle de la vérité, quels qu’en soient les fardeaux. J’ai souhaité inspirer par une expression libre le courage d’être et d’être soi, l’acceptation entière de « devenir ».
Mon parcours, ma rééducation à exister, m’a conduite instinctivement là où la valeur de la vie ne tolère pas le doute, là où le combat est naturel pour gagner la liberté et la paix.
Le 29 mars 2022, je suis partie en zone de guerre aux côtés des civils pour défendre la vie ; celle de l’Autre, la mienne aussi. Je me suis expatriée sur les routes ukrainiennes, jonchées de checkpoints et de cimetières aux croix bleues, pour interroger mon présent et épingler une utilité à ma force nouvelle acquise par le tutoiement de la douleur. Je ne savais pas ce que je trouverai sur ma route :
Qui ? Quoi ? Quelles réalités ? Quels cauchemars ? Quelles beautés ? Inéluctablement, je devais être là, comme une évidence qui frappe au visage et ne laisse place à aucune autre voie.
J’ai vu la guerre, celle qui pue le cadavre, torture les hommes, viole les femmes, massacre les enfants et creuse les charniers à coups de folie et de cruauté. J’ai aussi vu
la vie dans toute sa vérité, accrochée aux sourires invincibles des femmes et des enfants, aux chants des hommes, aux senteurs du borsch, aux couleurs des légumes cultivés sur chaque parcelle de terre que les obus n’avaient pas creusées.
À travers ce livre, au coeur des combats invisibles de l’être et de la guerre visible des Hommes, je ressens intimement les mots de Marguerite Duras : « Écrire, (...) c’est hurler sans bruit.». Je comprends au fur et à mesure de l’élaboration de cet ouvrage que l’intensité de ce qui nous déchire est égale à l’immensité de nos possibles.
Il y a un an, j’avais devant mes yeux une vie extra–ordinaire à saisir au vol. Je l’ai empoignée de toutes mes forces, elle me constitue aujourd’hui.
Écriture & Démarche de création
Ce premier livre est instinctif, spontané, comme une entrée en matière non cadrée dans l’acte littéraire. Une création libre pour inspirer le goût de la liberté, traduire la résilience et souligner la force de toute expression née d’une entière sincérité.
J’ai écrit en me laissant guider par l’urgence ressentie ; les mots débordaient de mon être et s’alignaient sur le papier dans une progression empreinte d’une nécessaire sueur. Un engagement physique et mental à livrer les mots justes.
Le titre de cet ouvrage à naître serait « entière » ; qualificatif inscrit comme une évidence pour transmettre avec ferveur et sobriété la mue d’une guerre multiforme en un présent gorgé d’humanité et de vie.
Pour faire résonner les mots, j’ai introduit l’écho de la photographie, le dévoilement de la peau, les traits de mon visage, les lumières et les ombres qui accompagnent le geste. J’ai choisi d’utiliser mon propre corps comme support d’expression, imparfait et véritable. L’absence totale de couleur est apparue naturelle pour teinter uniquement de noir et de blanc les intentions et les sentiments - pour le caractère solennel de ces tons imposants de sobriété.
Parallèlement, des clichés élus pour leur part symbolique viennent compléter la démarche de création. Ils ont été réalisés en Ukraine avec un simple téléphone, sans recherche de perfection, mais avec le souci constant de la réalité. Ces images brutes traduisent la résilience, cet instinct primaire qui attise la vie et estompe la mort.
Le pendant littéraire des photographies appelait à mes yeux une écriture confidentielle et sensible, jamais frêle. Une écriture de la vérité : tranchée, parfois gênante, toujours exempte de barrière. Des oxymores en fils rouges, le silence et le bruit, le calme et l’agitation. J’ai adopté la poésie et la prose pour biais de confession et de transmission aux lectrices et lecteurs. Ce fut un choix de conviction : celle de la délicate puissance de la poésie et de l’ouverture inspirante de la prose.
(...)